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Intervention Transmusicales : la Déclaration de Fribourg sur les Droits (...)

Intervention Transmusicales : la Déclaration de Fribourg sur les Droits Culturels

2 décembre 2009
Ferdinand Richard

2 décembre 2009
Ferdinand Richard



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1) commentaires additionnels à l’intervention de Johanne Bouchard


a) Sur tous les continents la naissance du droit est avant tout un phénomène culturel de proximité. Très empiriquement, on compile une multitude d’usages très spécifiques, de manière à ce qu’ils entrent le moins possible en contradiction. Au cours des siècles, cette compilation finit par constituer un code général, de moins en moins territorial, de plus en plus universel (mais il ne fait pas entièrement disparaître les usages locaux, heureusement ou malheureusement selon les cas), et va jusqu’à l’adoption générale d’un code commun, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
En tout cas, rappelons-nous que cette longue construction s’appuye au départ sur des arrangements locaux.

b) Certes nous nous réjouissons de l’adoption de la Déclaration de l’Unesco sur la diversité culturelle. Il ne peut nous échapper cependant que cette Déclaration puisse être instrumentalisée au service de causes exactement inverses à l’esprit qui a prévalu à sa rédaction. Le communiqué de presse publié au moment de la présentation de la Déclaration de Fribourg est très clair à ce sujet :
"La diversité culturelle est faite pour les hommes et par eux ; il convient donc de faire le lien avec les Droits de l’Homme, et plus spécifiquement avec les droits culturels. Une clarification de leurs définitions est le meilleur moyen d’empêcher qu’ils soient prétexte à dresser des communautés les unes contre les autres".
Pour ce qui concerne l’application de cette remarque à notre champ professionnel, je rappelle qu’aux pires moments de la guerre en Yougoslavie, on a pu entendre à travers un certain "turbo-folk" (musique actuelle très populaire) la justification de l’épuration éthnique au titre de la diversité culturelle (chacun chez soi). De même, la Radio des Mille Collines au Rwanda a diffusé des musique actuelle de guerre, des appels musicaux au génocide dont certains se revendiquaient avant tout de la "différence culturelle".
Il est en effet crucial que les Droits Culturels tels qu’énoncés dans la Déclaration de Fribourg "verrouillent" en quelque sorte la Déclaration sur la Diversité, en ce sens qu’elle affirme avec force la primauté du droit individuel sur celui de la collectivité. Mes dix-sept ans d’accompagnement des pratiques musicales dans les quartiers populaires de Marseille ne peuvent que renforcer mon adhésion à ces remarques, de même qu’à celles du célébre Docteur Kazimir Bizou :
“La diversité culturelle ne peut pas être une affaire de culture d’étrangers. Pour l’accord international (la Déclaration sur la Diversité Culturelle), le principe de base, qui est universel, reconnaît à la personne, et à elle seule, la responsabilité de donner « valeur » et « sens » culturels à sa vie. C’est la personne, et elle seule, qui construit son identité culturelle, dans l’altérité. Le droit culturel pose que la personne choisit ses groupes, qui peuvent autant être « ethniques », « géographiques », « religieux » que « professionnels », « affectifs », de « voisinage », de « passions », et même « d’ennuis ».”
“Il faut insister, avec autant de conviction que possible, sur ce principe des droits de l’homme que nul n’est attaché à un groupe ethnique s’il n’en éprouve pas la volonté.”
… ou encore…
“Cette approche de la "diversité culturelle" par la personne et non par le groupe est importante” “car elle éteint les oppositions entre « républicains » et « communautaristes ».”

Rappelons enfin que notre pays, berceau de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est pourtant bon dernier ou presque en ce qui concerne la reconnaissance de la directive européenne sur les langues régionales, bon dernier ou presque en ce qui concerne les parts de marché laissées à ses éditeurs musicaux indépendants, sans parler de son inélégant retard à honorer, bon dernier, ses engagements financiers vis-à-vis de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue des Cultures en Méditerrannée.

c) Toute cette reconnaissance de l’identité culturelle ne peut que logiquement impliquer la notion de l’autonomie individuelle, du libre-arbitre, y compris et surtout à travers ses outils économiques, et par conséquent, on voit très vite à l’usage que garantir des droits culturels sans les accompagner de droits économiques reste très théorique.
Rapportée à notre secteur, cette constatation remet au centre des dispositifs de soutien la question de l’autonomie économique de nos artistes et opérateurs, et par effet de cascade, toutes les questions qui reviennent actuellement dans nos débats, bien sûr la question des droits d’auteur, celle des statuts professionnels, mais aussi et surtout celle de la la maîtrise des circuits courts économiques, celle de l’attractivité des territoires, celle des relations économiques inter-régionales multi-latérales.

d) Relativiser :
Cette déclaraton ne peut se substituer à des droits plus favorables accordés par des législations nationales. Et actuellement, les législations bougent (passage de l’unanimité à la majorité qualifiée au Conseil des Ministres de la Culture européens).


2) Ce qui m’intéresse dans ces droits culturels en tant que professionnel


art 4a : liberté de référence et de participation à une ou plusieurs communautés culturelles, sans considération de frontières, et liberté de modifier ce choix ;
art. 8 et 9 : co-responsabilité, co-évaluation ;
art.11c  : la possibilité de recours.

a) Se percevoir soi-même comme confortablement et légitimement installé au coeur d’un espace géographique et humain qui serait une des parties constitutives du monde est un droit.
Après avoir tenté d’être des stars immédiatement mondiales, des global-players instantanés, à travers le mirage des contrats avec les majors, beaucoup des jeunes gens avec qui je travaille se replient, s’auto-limitent dans leur communautarisme à la fois géographique et humain. D’une certaine manière, ils auto-dévalorisent leur capacité à être reconnus par l’ensemble du bassin de population auquel nous appartenons, eux et moi et bien d’autres, comme une de ses valeurs ajoutées. Je suis assez persuadé que cette attitude est liée à une ignorance de leur droit culturel et économique.

b) Le fait que ce Droit culturel implique le choix de son adhésion à tel ou tel groupe culturel est aussi assorti du droit de changer de groupe si la nécessité s’en fait sentir. Pour l’individu, c’est à la fois une liberté et une angoisse, qui le renvoie à son libre-arbitre dans ce qu’il a de plus existentiel.
Suis-je bien à ma place dans ce groupe (humain, musical) ? Suis-je ou ne suis-je pas seul au monde ? Répondre à cette question nécessite une certaine force de caractère, un certain degré de "philosophie populaire" qui implique évidemment l’acquisition de certaines compétences intellectuelles. Deux mots au sujet de ces compétences intellectuelles : elles peuvent très bien s’acquérir en dehors du champs éducatif official ; elles sont au coeur du dispositif de renforcement des compétences, au moins aussi importantes que les compétences techniques ou de gestion.

c) Le droit culturel est trans-générationnel. Il est inaltérable au fil des âges. Parce qu’il relativise le temps, il relativise la mode, et donc il relativise l’échelle de valeur esthétique qui se veut la charpente de notre secteur. Ce qui est beau aujourd’hui sera laid demain. Ce qui était kitsch hier devient le modèle d’aujourd’hui. Le hip-hop ou l’electro d’aujourd’hui sera la musique classique de demain, et il faut s’attendre à ce qu’elles subissent le même sort que celui réservé aux musiques classiques d’aujourd’hui. Malgré l’intense pression, si humaine, de la recherche de notoriété, c’est bien le droit culturel qui prévaut, pas les magazines.

d) Le droit culturel est en perpétuelle construction, et co-construction. En tant qu’individus, les artistes ont une responsabilité première dans l’influence qu’ils peuvent exercer sur leurs gouvernements locaux, nationaux ou européens pour que ce droit soit entériné, appliqué, amélioré. Comme toujours (et on ne saurait leur en laisser l’entière responsabilité), les institutions internationales ne peuvent à elles seules imposer à ces différents pouvoirs qu’ils appliquent les droits culturels.
Nous avons ici un exemple flagrant de non-application, c’est la fameuse Déclaration d’Arc-et-Senans, Conseil de l’Europe, qui contient de manière lumineuse, condensée, claire, tout ce pourquoi nous nous battons aujourd’hui. Rien dans cette déclaration n’est à jeter, tout pourrait avoir été écrit ce matin. Mais malheureusement elle date d’avril 1972, ce qui en dit long sur l’incapacité d’imposer par le haut ce genre d’avancée sociale. Sans les syndicats, sans les réseaux, sans l’engagement militant, ces droits culturels resteront lettre morte, et la grande diversité des cultures de tous disparaîtra sous la consommation des produits industriels de la culture pour tous.

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