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Le projet Européen : un outil pour notre autonomie culturelle

Le projet Européen : un outil pour notre autonomie culturelle

octobre 2005
Ferdinand Richard


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Le projet Européen
Un outil pour notre autonomie culturelle
Par Ferdinand Richard
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octobre 2005

La difficulté ne date pas d’aujourd’hui.
Arriver à définir les limites de nos différents étages culturels institutionnels, arriver à les (ré)concilier, particulièrement dans le domaine si passionnel qui est le nôtre, reste un tonneau des Danaïdes où les eaux troubles tourbillonent.
Même si l’une comme l’autre maison ont aussi à leurs actifs des réussites exemplaires, les deux institutions culturelles françaises qui sont censées faire avancer les dossiers culturels en Europe, le Ministère de la Culture et l’AFAA, sont loin de disposer de tous les soutiens nécessaires pour défendre correctement la place de la Culture dans la construction européenne.

On ne peut imaginer qu’A.Malraux ait créé le Ministère de la Culture sans autorisation du général de Gaulle, mais on peut cependant s’interroger sur l’amour des Beaux-Arts ou la compassion pour les artistes de ce dernier. En tout cas, il y a certainement vu un excellent outil au service du prestige national.
Et puisque l’AFAA tire plus de 70% de ses ressources du Ministère des Affaires Etrangères, il est difficile de croire qu’elle puisse s’affranchir de toute commande diplomatique.
C’était ainsi à la naissance de ces institutions, mais est-on bien sûr que la politique culturelle préconisée pendant presque vingt ans par la gauche au pouvoir ait réussi à s’affranchir de ces lourds pré-supposés ?

Il sera imprudent d’ignorer cette Histoire si nous voulons sincèrement promouvoir une intégration progressive des différentes politiques culturelles nationales ou régionales administrées sur ce continent.
En effet, s’il est évident qu’aujourd’hui nous ne saurions parler de politique culturelle publique sans perspective continentale, il n’en reste pas moins que ce sentiment diffus ne repose pour l’instant que sur les pratiques quotidiennes des artistes, pas sur des stratégies publiques claires et affirmées.
Pourtant, quelqu’en soit son niveau de conscience, chacun d’entre nous vit l’Europe en permanence, incrustée qu’elle est dans nos gènes depuis des siècles, et au final, il semble bien que le principal obstacle à plus de culture dans le projet européen, ce n’est pas les gens, ni les institutions européennes, mais bien chaque état-membre, marchandant pied à pied ses entrées commerciales et ses fermetures identitaires, défendant son prestige comme ses industries audio-visuelles.

Au vu des récents évènements, il serait téméraire de parler d’intégration de politiques culturelles nationales au sein d’un ensemble cohérent de 25 pays tant que les états qui le constituent lui refusent l’existence même d’un budget, ou encore limitent (car c’est bien eux qui sont aux commandes) la part culturelle de ce budget à un ridicule 0,0043%, à peine 7 centimes par an et par habitant, à partager entre les 25 membres plus les pays limitrophes, et prioritairement dévolu à de poussiéreuses et coûteuses Eurovision et autres grand’messes.

La prochaine présidence de l’UE, autrichienne, sera attribuée au gouvernement-même qui ne déteste pas fricoter avec l’extrème-droite, c’est dire quels écueils nos députés européens favorables à la Culture vont trouver sur leur chemin.

Pourtant, le projet européen contient tout le potentiel de développement culturel dont nos artistes et nos populations ont besoin.

... mais pas forcément là où on l’attend.

Le projet européen sera, est déjà, un projet fédéral.
L’artiste, quant à lui, est un fédérateur d’influences.
Ces deux postures multi-latérales, et donc modernes, sont en décalage avec l’Art Officiel, par essence centralisé.
Contrairement à ce qui se reconstitue sous nos yeux dans notre pays, l’avenir de l’Art n’est pas dans les "pôles d’excellence", les "grands artistes", "les cercles d’experts auto-promus".
Il n’est certainement pas non plus, à l’échelon européen et extra-européen, dans une concurrence suicidaire entre Centres Culturels Français, Goethe Institut, British Council etc... (cf article de Dragan Klaic...), dont on comprend bien d’où elle tire ses racines.
Il est dans la proximité, dans les pratiques de tout un chacun.
Pour devenir universel et transcendant, l’Art a besoin de se cultiver lentement sur le terreau de ces pratiques, de se nourrir de mobilité, de trajets sans cesse renouvelés, d’ouvertures tous azimuts, et, avant toute chose, de Droit (à l’existence, à l’impertinence...).

Nous affirmons par ailleurs que le sens et l’équilibre d’un développement territorial ne peut se faire sans politique culturelle, de même que le sens et l’équilibre de l’Europe ne peuvent s’imaginer sans développement inter-territorial équitable.
Cette Europe ne sera d’ailleurs que l’expression des complicités de toutes nos proximités, ou elle ne sera pas.

C’est aussi dans nos proximités que s’élaboreront une grande partie des contenus de nos industries de la communication, de notre multi-média éducatif.
Et c’est aussi dans ce voisinage que se joue et que se vit la diversité culturelle.
Et c’est enfin cette "écologie culturelle" qui nous servira de language avec les autres régions du monde.

Il y a plus d’argent pour la culture dans les autres programmes non-culturels (jeunesse, emploi, régions, nouvelles technologies, coopération extèrieure, etc...), et en particulier dans tout ce qui se dépense dans nos proximités, que dans Culture 2007.
Ceci demande à nos équipes un long effort d’adaptation, rodés que nous sommes au jeu des subventions publiques nationales et de ceux qui les contrôlent.

Il nous faut trouver le médium entre l’intégrité des messages de l’artiste et la soif culturelle des populations (bien plus grande que l’on pourrait le croire, mais bien différente aussi...).

Chaque année, des crédits non-consommés sont retournés à Bruxelles. Ils sont trop lourds pour être avalés par les petits opérateurs que nous sommes. Mais ils sont bien réels...
En fait, la difficulté de nos recherches de financement européen ne marque pas seulement les limites de nos compétence mais aussi un manque de dynamisme politique.
Nous devons nous fédérer, inventer des regroupements autour de l’emploi, de la jeunesse, des NTIC, de l’aménagement rural ou urbain, que sais-je encore...
Plus d’Europe, c’est inventer cela, et pas seulement additionner la ribambelle des petits projets personnels que les uns et les autres ont pu produire en Allemagne ou en Italie...

Dans cette perspective nouvelle, tous les espoirs sont permis, mais les mentalités doivent changer.
Nous touchons là au titanesque tournant politique que notre globe connait depuis la chute du Mur de Berlin.
Il faut faire de l’Europe l’outil de nos autonomies.

Ferdinand Richard, directeur de l’AMI, Centre National de Développement pour les Musiques Actuelles.

 

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