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Marseille Provence 2013, quelle capitale culturelle, pour quelle Europe, (...)

Marseille Provence 2013, quelle capitale culturelle, pour quelle Europe, dans quelle globalisation ?



Ferdinand Richard
Texte publié en version anglaise dans : "The Cultures and Globalization Series, Cities, Cultural Policy and Governance", edited by Helmut Anheiner and Yudhishthir Raj Isar, Sage Publications, 2012

Introduction



Stratégiquement placée au centre de la Méditérranée occidentale, mais directement confrontée à de sérieuses concurrentes, Marseille cherche à capitaliser/capter des talents créatifs.

D’origine, elle en compte un nombre non négligeable, liés à la multiplicité de son offre de formations artistiques, tout autant qu’à un réseau de diffusion culturelle honorable, même s’il n’est pas comparable à d’autres métropoles régionales plus riches et mieux dotées, telles Lyon ou Bordeaux.

Pendant des décennies de relations régulières avec d’autres foyers culturels sud-méditerranéens, en particulier arabes, elle a aussi multiplié les échanges d’artistes, d’équipes ou de formations culturelles. Appuyé sur de multiples communautés, et une histoire de 26 siècles, longévité exceptionnelle en Europe, son fonds patrimonial, matériel ou immatériel, est le bain nourricier où s’abreuvent, directement ou non, consciemment ou non, une myriade d’artistes confirmés ou en devenir, issus de ses populations, ou venus d’autres cieux, attirés par cette situation particulière. Même si leurs motivations sont parfois de l’ordre du fantasme, "l’assimilation artistique" est souvent rapide et définitive. Il est fréquent d’entendre dire qu’un artiste marseillais "monté à la capitale" continue de présenter dans son cheminement d’artiste d’indélébiles signes distinctifs qu’un oeil averti aura tôt fait de déceler.

Ceci n’a évidemment rien à voir avec l’accent ou l’aspect physique. Il faut pourtant noter, après les années 90, "âge d’or de la movida marseillaise", un certain ralentissement, voire un léger reflux, de l’arrivée d’artistes européens ou extra-européens. Incidemment, on peut imaginer aisément que Marseille-Provence 2013 aura aussi à jouer cette fonction de "régulateur de flux".
Classiquement, son image industrielle ne se perçoit que de manière négative, et occulte ses capacités d’attraction. Marseille, ses tags et ses odeurs fortes seraient l’envers du décor d’une Provence estivale et festivalière baignée des senteurs du romarin et du bleu des lavandes. Deux mondes opposés...
Elle cherche donc à renverser ce difficile point de départ, et en ce sens, devenir capitale européenne de la Culture en 2013 est une aubaine qu’aucun de ses responsables ne saurait écarter.
Tout ceci repose pourtant sur sa capacité à fixer les talents créatifs, effet qui ne saurait être résolu par de simples mesures locales. En effet, plus le mécanisme de la globalisation fait son chemin, et plus émerge, au niveau du continent européen, une rupture idéologique, culturelle, entre deux orientations possibles.

L’option première, qui semblerait aller de soi, va vers une rationalisation/uniformisation de la consommation culturelle, et implique logiquement une concentration des pouvoirs au sein d’un nombre de plus en plus restreint de monopoles globaux, « majors » de « l’entertainment industry », industrialisant la production artistique dans un flux « top-down ». Ici, le concept de « creative industries » (dont on peut par ailleurs interroger la contradiction : « creative », acte singulier et expérimental ne saurait être « industry », et « industry », par essence action de duplication, n’est pas « creative ») est entendu de manière orientée, a priori divergente de la « diversité culturelle » (cf. the Introduction in Anheier and Isar, 2010). Les œuvres sont massivement dupliquées, ont une forte capacité de divertissement, une durée de vie courte, et un faible coût de production les autorisant à se suffire des ressources du marché privé. La cible est un marché mondial. La source est concentrée dans quelques triangles d’or culturels à l’attractivité dévorante.

La deuxième option propose une globalisation sous forme de réseaux productifs (bottom-up) instantanément multilatéraux, multi-niveaux, multiculturels, où les pouvoirs sont répartis, égalitairement ou non, entre différents pôles de géographies et de poids variables, une sorte de foisonnements d’initiatives, laissant plus de place au rapport de force du commerce qu’à la planification industrielle globale. Ce rapport de force n’est jamais définitif, et tout s’y négocie. On peut aussi y privilégier des œuvres singulières, durables, à faible taux de renouvellement et à fort pouvoir d’influence, clairement « labélisées » par leur territoire, éventuellement coûteuses et peu susceptibles d’exister sans l’apport des financements publics. Portées par des bassins d’humanité spécifiques, elles « communiquent » une identité partagée et revendiquée. Les cibles s’incarnent à travers un réseau fluctuant de marchés locaux plus ou moins inter-communicants. Chaque individu est une source. Comme à l’accoutumée, la réalité, mouvante, se place quelque part entre ces deux extrémités, mais les deux options affectent les politiques culturelles de manière radicalement différente. Involontairement, le simple fait d’ériger une ville ou un groupement de villes au rang de « Capitale Culturelle Européenne » l’oblige à se positionner, consciemment ou non, sur l’une ou l’autre des deux options.


Marseille-Provence 2013



Marseille-Provence, une des deux ‘capitales’ culturelles pour l’année 2013, n’échappe évidemment pas à la règle, bien qu’à cet égard elle n’ait pas encore exprimé son choix de manière indiscutable. Il s’agit pourtant d’une candidature singulière, qui peut à certains égards représenter une pause réflexive dans le « cheminement culturel » de l’Europe, à l’aube de sa nouvelle période de programmation 2014/2020. Singulière, en effet, de part la conjugaison inédite de plusieurs facteurs : grand nombre de communes concernées, position géostratégique en Méditerranée, c’est-à-dire à la jonction de l’Europe et des « zones de voisinage », structuration culturelle durable du territoire, etc. La culture restera-t-elle un objet flottant vaguement identifié, réservé aux spécialistes, isolé dans la protosphère, ou bien subira-t-elle un « mainstreaming » radical, essaimant des experts culturels dans tous les services des administrations, dans tous les départements des entreprises privées, se mêlant de santé publique, d’éducation, de transports, de sécurité, de cohésion sociale ? Assurément, pour les programmateurs de la Commission Européenne, ce qui se passe aujourd’hui avec les capitales culturelles sert de Recherche et Développement, en particulier dans la perspective de l’intégration des régions de l’Europe.

Nous ne gloserons pas ici sur les thématiques qu’explore Marseille-Provence 2013 : « Le partage des midis : création et créateurs en Euroméditerranée » ; « Migrations, exils, voyages » ; « Partage et conflits de mémoires » ; « Racines et actualités religieuses » ; « Masculin-féminin » ; « Valeurs et figures communes : Athènes et Jérusalem » ; « Les 100 ans de Camus » ; « Gastronomie Nord-Sud », « Partage des Eaux » ; « La cité radieuse : l’art dans l’espace public » ; « Promeneurs et nomades », « Chemins de traverse » ; « Mille et une nuits » ; « Cities on the edge » ; « Nouveaux commanditaires : nouvelles écritures, tous acteurs ». Elles sont d’autant plus légitimes qu’elles ont charpenté l’argumentaire décisif qui a conduit à son élection. Il suffit de se rendre sur le site de ‘MP13’ (comme nous la nommerons désormais) pour comprendre, au regard des attentes thématiques des commanditaires, Commission Européenne ou Etat Français, l’intelligence tactique de Bernard Latarjet, porteur de la candidature et désormais son directeur, haut fonctionnaire issu du Ministère de la Culture, ancien conseiller de Jack Lang puis de François Mitterand, précédemment en charge de La Grande Halle de la Villette à Paris.
Rien à redire, mais cependant une légère frustration en ce qui concerne l’audace artistique du projet, un peu contrainte par le contexte « quasi-misérabiliste » qui pèse sur MP 13. Marseille serait nécessiteuse, et méritait donc d’être choisie, plus que Lyon, Bordeaux, ou Toulouse. Ce genre de « discrimination positive », peu défendable et peu instructive, ouvre la porte à toutes les exagérations, et renvoie les Marseillais à une lourde image qu’ils aimeraient bien dépasser une fois pour toute. Inutile non plus de s’étendre sur les effets destructeurs de la crise financière mondiale, frappant de plein fouet, ici comme ailleurs, les entreprises.
Il faut pourtant décrire rapidement une sociologie entreprenariale dont on constatera qu’à l’inverse de métropoles comme Lyon ou Lille, elle s’est tant bien que mal consolidée autour d’entreprises de commerce plutôt familiales, assez peu « industrielles », et dont l’emprise internationale repose plus sur une ancienne politique de « comptoirs » plutôt que sur des monopoles globaux, des alliances internationales, et des réseaux de succursales. Tels qu’ils s’annonçaient au moment de la candidature, les espoirs de mécénat se réduisent notablement.

En terme de programmation artistique, MP 13 devra passer par des choix réducteurs, qui, si Bernard Latarjet n’est pas suffisamment soutenu, risquent bien de frapper la partie la plus « structurante » et la moins « communicante » de la candidature, celle pourtant qui lui a valu son élection. L’argent servirait a structurer une politique, infrastructures, long-term investments…Ceci mis en avant..Not given to spectacular but this is disappearing.
Parlons encore de quelques prédispositions particulières qui compliquent sa réalisation. Provençal et marseillais de coeur depuis 46 ans, je prendrais d’abord la précaution d’affirmer vigoureusement qu’il n’est évidemment pas dans mes intentions de nuire à la candidature, mais bien de lui redonner toute la dignité qu’elle est en droit d’attendre.


Singularismes, atavismes, dépassements



Cette dignité passe par le dépassement des situations suivantes.

D’abord, quelques contraintes politiques internes.
Examinant nos cercles géographiques concentriques, le premier nous indique que, d’Arles à la Ciotat, en passant par Aix-en-Provence, « Marseille-Provence 2013 » est avant tout un consortium représentant plus de 130 municipalités autour de Marseille, rassemblant 1,5 millions d’habitants environ. Bel effort collectif... Malheureusement, il est de plus en plus affecté par un ennui majeur du calendrier politique : en 2014, un an à peine apès l’évènement, chacune de ces 130 municipalités procédera à l’élection de son nouveau conseil municipal, et chaque maire actuel compte bien sur la dynamique de MP 13 pour se faire ré-élire.
Cette instrumentalisation va jusqu’au point où la notion même de « pot commun », symbole de la solidarité au sein de cette candidature, peut se voir remise en cause, certains maires ayant été jusqu’à déclarer que leur contribution financière se confirmerait à condition qu’elle soit exclusivement affectée à leur territoire, une condition impossible à gérer par le programmateur artistique visionnaire et exigeant que veut être MP 13.

Il faut en oûtre considérer le "deuxième cercle" des communes non-intégrées dans la candidature, mais inscrites dans la communauté régionale, qui finance elle-aussi cet "effort de guerre". Il y a donc une sorte d’attente de "légitime retour sur investissement" de la part de ces communes, fussent-elles géographiquement éloignées de la capitale régionale.

Enfin, la perspective de moins en moins lointaine de l’opérationalité des euros-régions, dont il convient de rappeler que celle à laquelle nous appartenons (PACA, Rhône-Alpes, Piémont, Ligurie, Aoste) se veut l’une des plus précoces, impose que cette candidature y fasse écho, ce qui, au vu des programmes, négociations, alliances en cours, semble encore de l’ordre du déclaratif.

Autre contrainte politique de taille, une réforme nationale des collectivités territoriales, prévue pour s’appliquer dès 2012, dans laquelle la notion de compétence culturelle devenant facultative, obligatoire ou supprimée, fait aujourd’hui débat, pouvant cruellement priver les municipalités concernées, non seulement de l’important complément de ressources qu’elle sont en droit d’attendre de la part de la Région et des Départements, mais aussi de l’indispensable « portage politique » que pourrait prodiguer ces importantes collectivités. Alors même que, à l’exception de Marseille et Aix, les villes n’ont pas vraiment la capacité de se doter de relations culturelles extérieures (et que serait une capitale culturelle européenne, sans la dimension des relations internationales ?), on aurait pu attendre de la Région et du Département un effort en ce sens, sur le plan international. Mais ces entités existeront-elles encore en 2013 ? Quel sens prendra une candidature collective de plus de cent trente communes, si les échelons administratifs qu’elles ont en commun, le département et la région, disparaissent, si les nouvelles structurations qui les remplaceront ne se dotent pas de compétence culturelle ?


L’actuel erratisme culturel français



La construction européenne questionne de plus en plus les anciens modèles de politique culturelle, essentiellement francophones, traditionnellement tendus vers le prestige national, le rayonnement, la Culture Officielle.
Jusqu’ici prérogative de l’Etat, la politique culturelle était plutôt énoncée comme un modèle unique, éventuellement duplicable au niveau local, chaque métropole cherchant tant bien que mal à jouer son « petit Paris ».
Et si l’on en croit la lettre de cadrage de Bernard Kouchner, Ministre des Affaires Etrangères, datée du 19 décembre 2009, où mention n’est pas même faite des autorités locales, encore moins de la coopération culturelle décentralisée, la diplomatie culturelle reste encore un domaine réservé à l’Etat, une "diplomatie d’influence" (sic) essentiellement tournée vers des fins stratégiques qui ont peu à voir avec les Droits Culturels. N’oublions pas que la France reste un des derniers gouvernements rétifs à la directive européenne sur les langues régionales, une attitude anachronique vue de Marseille la polyglotte.

Plus ou moins douloureux, graduel mais irréversible, le transfert de souveraineté culturelle des Etats européens vers leurs pouvoirs locaux cherche ses limites, et l’on croit savoir qu’au sein même du Ministère de la Culture des voix se font entendre, évoquant un renversement du principe de « La Culture pour tous », dont le bilan est loin d’être positif, pour aller vers celui des « Cultures de Tous », poussé en cela par les récentes ratifications de la Convention 2005 UNESCO pour la Diversité Culturelle. Le débat national sur la Culture, ou plutôt son absence criante, crée une confusion dans la gouvernance culturelle, un vacuum que certaines collectivités tentent de combler, en particulier des grandes villes. La période est délicate, mais aussi excitante, car se joue aujourd’hui l’articulation des différents étages de politiques culturelles, du local à l’Europe, comme l’a montré le récent débat public tenu à ce sujet au Parlement Européen le 23 juin dernier. Il sera donc rapidement nécessaire que l’Etat français accorde ses engagements internationaux tels qu’exprimés dans sa ratification de la Déclaration sur la Diversité Culturelle, avec son orientation instrumentalisatrice telle qu’exprimée dans la lettre de cadrage de Monsieur Kouchner. Les deux sont a priori incompatibles, et cette ambigüité résonne dans l’ensemble du paysage culturel, capitale culturelle européenne comprise.


Deux grands défis



Dans ce contexte, pour une ville française, devenir capitale culturelle de l’UE revêt toutes les audaces et tous les pièges. Si ses élites politiques en ont la vision et le courage, et si Monsieur Latarjet prend la mesure des savoirs-faires locaux, MP 13, la rebelle, « l’anti-parisienne », peut réussir une éblouissante innovation culturelle, profiter de la candidature pour entamer la rénovation de sa politique culturelle, bien au-delà de 2013, comme elle peut s’enliser dans le dénominateur commun minimum, médiocre moyen-terme culturel européen, basé d’un bout à l’autre du continent sur les mêmes oeuvres, la même communication, les mêmes lieux, ou encore souffrir de byzantines luttes politiques.
Il lui faudrait en tout cas ratifier un certain nombre de textes fondateurs, en particulier l’Agenda 21 de la Culture, ce qu’aucune composante de MP13 n’a fait, à l’exception de la Ville d’Aubagne. Il faut ici lui en rendre hommage. Accepter sa propre diversité. Bien qu’elle doive sa survie et sa fierté à son éblouissante indiscipline, parfois mâtinée d’indolence (ce qui d’ailleurs la rend si humaine), il faut que MP13 accepte enfin son « immigration de l’intérieur ».
Disons-le, les plus grands militants de la cause marseillaise se trouvent bien sûr chez de nombreux citoyens issus de l’immigration, mais aussi chez des « parisiens », des « gens du Nord », pas obligatoirement habitants des quartiers nantis, parfois audacieusement non-français, qui, humblement, adoptent la cause, devenant « plus marseillais que les marseillais ». A l’inverse, il suffit de lire les complaisances quasi-populistes, les clichés pagnolesques véhiculés par la presse nationale récente, y compris (surtout ?) progressiste, pour comprendre à quel point Marseille souffre toujours d’un à priori négatif dans l’esprit des français, en particulier pour ce qui concerne les choses de l’esprit.

C’est un poncif, mais c’est une réalité, dans ses écoles publiques, Marseille accueille tous les enfants du monde, sans barguigner sur la couleur, l’accent, la richesse. Personne ne commente votre pays d’origine. On attend de voir votre travail. Ce principe salvateur doit s’appliquer aussi au champ culturel en général, à MP 13 en particulier, pour autant que la candidature s’applique à intégrer chacun, du plus humble au plus fanfaron des provençaux. Le contrat moral qui devrait lier MP13 à ses habitants se jouera dans ce délicat équilibre : confiance en l’innovation artistique, confiance au populaire, car à Marseille, l’une ne saurait prévaloir sur l’autre. Rompre ce contrat pourrait bien être une des causes principales de l’échec de MP 13, s’il devait advenir.

Dépasser son héritage géostratégique. Par son port, Marseille a été la porte de l’Empire Colonial français. Elle a toujours été, et est encore, un des principaux points de transit de ses cultures immigrées et émigrantes, en particulier dans le « pré carré méditerranéen ». Toulon, qui aurait pu être l’autre grande ville de la candidature si elle n’avait décidé de se démettre, est le port d’attache des forces navales françaises, et de leurs alliés. Marseille vient d’accueillir un département important de la Banque Mondiale, et elle revendique un rôle premier dans le Conseil Culturel de l’Union pour la Méditerranée, comme dans d’autres instances d’influence. En conséquence, « l’héritage » revient à pousser MP 13 dans un « entre-soi », une certaine politique de zonage, que d’audacieux commentateurs ramèneraient au plus pur néo-colonialisme.

De fait, personne dans cette ville n’ose remettre en cause la clause parfois étouffante d’une certaine « méditerranéité » obligée, qui tendrait à faire croire que les compétences culturelles de MP 13 n’auraient aucune justification à se déployer ailleurs qu’en Méditerranée. Outre le fait que le concept de « dialogue des cultures méditerranéennes » soit avant tout porté par la pensée occidentale (pour le Monde Arabe, la Méditerranée n’est pas forcément un lieu de convergence...), il est évident que le « label » Méditerranée est déjà fortement revendiqué par bien d’autres que MP13. La concurrence est rude, et on pourrait espérer que, de manière intelligente, on renforce la visibilité de cette dernière dans le monde entier, bien au-delà de la Méditerranée (mais pas sans), à travers certaines compétences spécifiques qu’elle porte mieux que d’autres : action culturelle, lieux de création, soutien à l’économie de la Culture, intégration de la création contemporaine et du patrimoine, assainissement progressif d’un tourisme culturel autrefois dévastateur, interdisciplinarité, coopération culturelle décentralisée, etc., autant d’expertises/chantiers-en-cours déjà reconnus à MP 13 au plan global, not just the neighbourhood yhey aren’t autant en Asie que dans les Amériques, et qui auraient en outre l’avantage d’intégrer une sonorité ‘méditerranéenne’ dans une ‘sono mondiale’. MP 13 pourrait le faire pour son propre compte, mais aussi pour celui de ses voisines, qu’elles soient européennes ou maghrébines, d’autant plus que, d’une certaine manière, elle le fait déjà, naturellement.

Autre articulation douloureuse, la confusion/dépression qui règne actuellement entre le Conseil Culturel de l’Union pour la Méditerranée (dont le président n’est autre que le premier Maire-Adjoint de Marseille, Renaud Muselier) largement porté par la France, la Fondation Anna Lindh, émanation des Accords de Barcelone et bras armé de la Commission Européenne pour le dialogue des Cultures en Méditerranée, la forte poussée de l’AECID, agence de la Coopération Espagnole, et tous les autres cercles de pouvoirs, brouille encore plus le théâtre méditerranéen.

Evidemment, chacun pousse ses pions en fonction de ses intérêts, et, à ma connaissance, les nouveaux services de Madame Ashton, Haut-Représentant de l’Union Européenne pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité, n’ont pas encore émis sur le sujet le moindre élément de doctrine qui permettrait d’envisager un minimum de cohésion, de lisibilité, d’alignement. L’image donnée par cette confusion diplomatique est exécrable, et la candidature en fait assurément les frais. Vue d’Alger, d’Istanbul, ou de Ramallah, de quelle Europe MP 13 sera la capitale culturelle ?


Conclusion



En conclusion, les éléments disponibles à ce jour donnent à penser que MP13 sera (est d’ores et déjà) dans l’œil d’un cyclone dont les mouvements imprévisibles peuvent l’épargner ou la blesser profondément.
Il n’est pas certain qu’au moment où ils portaient cette candidature sur les fonds baptismaux, ses géniteurs aient bien mesuré les dangers à venir. Pourtant, ce contexte est en lui-même un challenge, et l’on verra bien si les ressources culturelles intrinsèques de MP13, ses forces vives, seront capables de se liguer une fois encore contre le mauvais sort. Elles sont puissantes, enracinées, pas toujours visibles, et résident parfois dans des strates de la population où on ne les attend pas.
Depuis 2600 ans, les Marseillais ont fait preuve d’une étonnante résistance, plus ou moins passive, et rares en Europe sont les bassins de population ayant démontré une telle capacité de synthèse, et témoignant donc de réelles richesses culturelles.
Encore faudrait-il que l’on donne à chacun d’entre eux de bonnes raisons de s’approprier cette candidature. C’est une des armatures politiques qui restent à consolider.
Enfin, comme déjà dit, le moment même de cette candidature sera un essai grandeur nature pour l’approche culturelle de la Commission Européenne, à l’aube de la programmation 2014/2020, en particulier en ce qui concerne la capacité des autorités locales à endosser partiellement des enjeux de politique globale. C’est bien au niveau des institutions européennes que s’établiront les équilibres futurs entre développement local, harmonisation continentale, échanges planétaires équitables, diversité culturelle. Les états-membres de l’Union Européenne, jusqu’à présent acteurs souverains de ces choix, devront composer autant avec l’autonomie grandissante des pouvoirs locaux qu’avec une réalité institutionnelle européenne qui les relaye de plus en plus, inexorablement.

Certes, MP13 connaitra les affres et les bonheurs de la rénovation culturelle, mais, comme un miroir, elle renverra à ses commanditaires toutes les questions fondamentales qu’un tel évènement ne manquera pas de poser.
Sont-ils prêts ?